• Lorsqu'Étienne se réveilla dans sa chambre le lendemain, il la trouva bien vide, pour un lundi matin. Cette semaine entière à passer sans Arthur ni Lucas allait lui paraître bien longue... Il lui restait Amandine, bien sûr, mais ce n'était pas pareil...

    Un coup d'œil sur son emploi du temps l'informa du pire. Les emplois du temps étaient ajustés et modifiés chaque semaine afin de correspondre au mieux aux élèves et à l'évolution de leurs pouvoirs. Et Étienne semblait avoir un assez important potentiel attractif de cours longs et ennuyeux.

    S'il avait su ce qui l'attendait cette semaine, Étienne n'aurait sans doute pas quitté son lit. Toujours est-il qu'il n'en savait rien, et qu'il s'habilla en traînant des pieds pour rejoindre le self. Amandine et Ambre étaient à table ensemble, et au vu leur tête, Étienne devina qu'il n'était pas le seul à haïr ses cours de la journée.

    - Ah, vous aussi vous avez regardé votre emploi du temps...
    - Oui, répondit Amandine en retenant sa tête pour réfréner son envie de l'écraser dans le bol de céréales.
    - J'ai je ne sais pas combien d'heures sur la « mémoire » et au moins autant sur l' « image ».
    - Et moi, ajouta Ambre, quatre-vingt pour cent de mes cours de la semaine concernent le décryptage des émotions faciales. Je vais bientôt pouvoir vous décrire toute la subtilité d'un tressautement de la joue gauche...
    - Ah, oui, et tu es toute seule en plus dans ce cours, non ?
    - On est pas très nombreux, déjà... mais maintenant... enfin bon, depuis la semaine dernière il y a Kalian, avec moi... répondit la jeune fille.
    - Kalian ? La fille qui nous évite ?
    - J'ai parlé un peu avec elle, vu qu'on était toute les deux ensemble...elle est sympa, en fait...
    - Sympa mais pas très bavarde, souligna Amandine. Il faudrait que tu lui dises de venir un coup avec nous à la cafet, de temps en temps...

    Ambre ne répondit pas. Elle préféra avaler d'un trait son verre de jus d'orange et se lever avec son plateau.

    - Bon, je vous abandonne, je dois voir mon professeur principal avant mon premier cours... À tout à l'heure !

    Étienne plongea sa cuillère dans son bol de lait avec un enthousiasme évident. Il marmonna une phrase inaudible dans laquelle Amandine pu comprendre qu'il "avait envie de se pendre".

    - Plains-toi ! grimaça-t-elle. Je vais avoir un jour sur deux où je ne vais même pas quitter ma chambre ! Je dois juste dormir pour voir si je vais réussir à rêver de leur saleté de mission ! Ils savent que je ne peux pas, pourtant !
    - Tu peux pas ?
    - Non. D'abord, je peux pas choisir de quoi je vais rêver. Et deuxièmement, ils sont beaucoup trop loin... Mais M.Bourgeois m'a dit que je pourrais sortir de ma chambre quand je lui aurait dit si l'accord allait être signé ou non.
    - La poisse... Enfin bon, je vais passer mes journées à dormir aussi...
    - Pourquoi ?
    - Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre, en cours de Mémoire ? Maugréa Etienne.
    - C'est cela, sourit Amandine.

    Elle sortit de sa poche une petite boîte blanche sur laquelle on avait inscrit en gros « somnifère ».

    - Ça a tellement mauvais goût, cette horreur, qu'on m'autorise à le boire le matin, avec mon jus d'orange.
    - Et c'est puissant ?
    - J'ai une minute chrono pour rejoindre mon lit, après je m'effondre pour dix heures.

    Étienne réfléchit.

    - Tu voudrais pas m'en passer un ?
    - J'ai pas le droit. Si tu te fais attraper, tu vas passer un sale quart d'heure...
    - Laisse tomber... de toute façon, j'ai pas besoin de ça pour m'endormir...

    Amandine lâcha le comprimé bleu dans son verre et fit deux tours avec sa petite cuiller. Le liquide prit une couleur douteuse.

    - Tu dois vraiment boire ça ?
    - Oui.
    - Je suis avec toi...
    - Merci...

    Elle inspira un grand coup et vida son verre d'un trait.

    - Voilààà... Et maintenant, ze vais me dépêcher de rezoindre ma zambre, sinon je vais pazer ma zournée dans le couloiiiir...

    Étienne s'empressa de terminer sa tartine.

    - Fonce, je te rapporterai ton plateau...
    - Merzi.

    Amandine, son doudou serré contre elle, se précipita vers sa chambre.

    - Il n'empêche, grogna Étienne en empilant les verres, que son pouvoir lui permet de passer ses journées à rien faire. C'est vraiment injuste.

    Sa tâche terminée, il se rendit en traînant des pieds à son premier cours de la journée.

    Leçon de théâtre.

    La plupart des élèves avaient protesté quand ils avaient appris cela. Ils se voyaient comme des combattants, des guerriers. Pas comme des comédiens. D'autres prenaient la nouvelle avec plus de plaisir. Faye n'était pas là, mais cela faisait partie de son rôle. Savoir jouer, mimer, faire semblant... Très utile en cas de négociation.

    Eileen, elle, avait accueilli la nouvelle avec indifférence. Elle savait qu'elle était inscrite pour la forme. Elle n'avait pas besoin de faire semblant d'être folle.

    Mais pour cette séance-ci, ni Faye, ni Eileen. Étienne se retrouvait seul. Il repéra dans un coin Kalian, et décida de s’asseoir à côté d’elle. Si elle n’était effectivement pas une grande bavarde, cela lui irait pour le mieux, il pourrait dormir en paix. Devant lui, il vit s’installer Aria, la petite télékinésiste dont lui avait parlé François.

    Une fois que tous ses élèves furent assis dans la salle, leur professeur leur donna une citation à méditer durant l'année. Une citation de Paul Verlaine, destinée à leur montrer que cette année serait sans doute dure, mais pas insurmontable.

    "Ce sera si fatal qu’on en croira mourir"

    Étienne plongea sa tête dans ses bras. S’il avait pu, il aurait volontiers modifié cette citation en « ce sera si fatal qu’on en pourra dormir ». Il jeta un coup d’œil à sa voisine, qui était fixée sur un petit point et ne bougeait pas d’un poil. Alors qu’il s’apprêtait à lui demander ce qu’elle avait, il se remémora les paroles d’Ambres. Kalian possédait une vision exceptionnelle qui lui permettait de « zoomer » pratiquement a l’infini. Pratique.

    Le cours avait commencé normalement. Les élèves, par groupes de trois, devaient écrire des scènes. Et pour commencer, une scène mêlant amour et dispute. Étienne soupira profondément, puis tapota sur l’épaule de sa voisine de devant. Ils étaient à présent trois.

    - T'as une idée ? lui demanda Kalian.
    - Ben oui, répondit Aria, On a qu'à dire que c'est un garçon qui vient de Pluton et une fille de Mars, mais qu'en 2050, les Plutonniens contrôlent la galaxie, et que les Marsiens sont des esclaves, et puis alors...
    - Ok, ok... Étienne ?
    - Euh...
    - Bien... soupira Kalian, on pourrait partir sur l'héritier d'une multinationale, qui est amoureux d'une fille qui n'a rien, et sa famille a déjà prévu de le marier...

    Aria attrapa un stylo.

    - C’est parti !... Il lui faut un nom... Charles-Edouard ?
    - Non, Charles-Edouard, ça fait trop "petite bourgeoisie" fit Kalian d'un air dédaigneux. Il faut un nom pas courant, du genre... Ambrose ?

    Étienne fit la grimace, puis tenta :

    - Richard, ou...
    - Alphonse ! s'exclamèrent en cœur Kalian et Aria.

    Aria commença à écrire à toute vitesse. Au bout d'une ligne, Kalian lui fit gentiment remarquer qu'elle n'écrivait pas "Alphonse" mais "Alpohse" et que cela n'avait pas tout à fait le même sens. La fille hérita du nom de "Noémie".

    Au bout d’une demi-heure, chaque groupe joua sa petite mise en scène, chaque fois commentée. Et même si Aria s’était pris les pieds dans un sac en se rendant au tableau, avant de s’étaler sur le sol, tout se passa plutôt bien.

    Le cours se poursuivit, les élèves prenant en note les consignes du professeur. Puis la pause sonna, et la salle se vida. Certains partaient pour la cafet' d'autres pour le CRD...

    Un quart d'heure plus tard, quand ils revinrent, quelqu'un avait effacé tout le tableau. Seule restait la citation, écrite au marqueur bleu. Mais quelqu'un avait effacé les derniers mots, et écrit au rouge par dessus, d'une écriture grossière :

     "Ce sera si fatal qu'on  en MOURRA"

    Le reste de la journée se déroula sans incident notoire. Le mardi, puis le mercredi, défilèrent de la même façon, ennuyeux à mourir. Il fallut attendre le jeudi pour qu’un nouvel incident se produise. La phrase sur le tableau avait largement animé les conversations et les rumeurs du lycée, et les avis se partageaient en deux : il y avait ceux pour qui ils s’agissaient d’une mauvaise blague. Ce n’était pas la première fois qu’un élève parvenait à s’introduire dans une salle fermée à clé, bien au contraire. Une certaine Rachel, qui passait à travers les murs, reçut des regards noirs et des félicitations pendant toute la semaine.

    Mais peu à peu, voyant que rien ne se produisait, les rumeurs se tarirent, et le lycée reprit un cours normal.

    Le jeudi matin, donc, Amandine fut pour la première fois de la semaine autorisée à quitter sa chambre pour se rendre en cours, et de surcroît pas n’importe quel cours, puisqu’il s’agissait de l’organisation en mission. Ce cours était des plus demandés, et des plus appréciés des élèves, qui devaient avoir suivi dix heures de formations avant d’obtenir l’autorisation de partir en mission.

    La professeure laissa entrer tous ses élèves, puis se laissa tomber derrière son bureau.

    - Alors... je vais faire l'appel... histoire de vérifier que vous êtes tous là...

    Un murmure compréhensif secoua la salle. Le départ précipité de l'un des professeurs avait contraint de clore rapidement l'élaboration des groupes de niveau pour les missions au rang d'épopée.

    Mme Hoplein sortit de son sac un classeur rouge qui devait bien faire quinze centimètres d'épaisseurs, et en tourna quelques instants les pages. 

    - Alors... Si j'en crois mon papier, vous êtes le groupe PP2DG4'

    L'assemblée écarquillait les yeux. Le lycée était connu pour ses acronymes à rallonge, mais là, c'en était tout de même une belle. La professeure saisit un énorme crayon rouge et ratura le tout.

    - Groupe en projet de renommement : groupe 1.
    - Aaaaaah...
    - Bien. Vous êtes ici pour apprendre la cohésion en groupe ! Et l'organisation en mission. J'attends donc de vous une bonne entente suffisante...

    Amandine serra son doudou contre elle. Pas de problème, entre elle et son lapin, la bonne entente, c'était pour la vie...

    - Reprenons là où nous en étions restés. Ou là où ceux qui ont réussi a avoir eu cours avec un professeur ou plus depuis le début de l’année en sont restés. Autrement dit... À la disposition des équipes... Et pour cette démonstration, je vais avoir besoin d'un volontaire...

    Elle parcourut la salle. Les élèves les plus timides tentaient de se dissimuler derrière leurs voisins.

    - Ou plutôt de l'élastique à cheveux d'un volontaire... Voyons...Amandine ? Que vois-je au cou de ce joli doudou ?
    - Mais c'est son collier...
    - Et bien passe moi-donc le collier de lapinou. Je te le rendrai en fin d'heure !

    La jeune fille obéit, apparemment pas ravie du tout. La professeure saisit quatre ballons.

    - Oh, Madame, madame, s'écria aussitôt une élève dans le fond. Je pourrais récupérer un ballon quand vous aurez fini ?

    La salle se mit aussitôt à résonner des « moi aussi, moi aussi » des élèves envieux.

    - On verra tout à l'heure ! On verra tout à l'heure ! Pour l'instant, tentez de vous concentrer un peu ! Alors... L'un de vos principaux défauts en mission est que vous vous marchez dessus. Donc... Pour les missions en binômes !

     À l'aide de l'élastique à cheveux, elle noua deux ballons ensembles.

    - Là, on s'en fiche. Vous pouvez vous placer comme vous le souhaitez, tant que vous ne vous entretuez pas. Pareil avec trois personnes... Là où ça se corse, c'est pour quatre personnes... Et vous allez pouvoir voir ça... si j'arrive à allumer ce machin...

    Elle parlait du vidéo projecteur. Les professeurs avaient tous été, il y a peu de temps, équipés de tablettes tactiles. Qui ne possédaient pas de prise vidéo projecteurs, ce qui n'était pas pratique du tout

    - N'y aurait-il pas ici un geek ne se déplaçant jamais sans son ordinateur ?

    - Lucaaas ? demanda machinalement Amandine en se retournant, avant de se frapper le front : Ah, mais non, c'est vrai, il est en mission...

    - Personne ? Tant mieux, vous allez donc pouvoir apprécier mes fantastiques talents pour le dessin...

    La professeure se tourna vers le tableau blanc avec un veleda, et dessina trois formations de quatre élèves

    - Bon... Qui peut me dire quelle sont les positions à ne surtout pas adopter dans une équipe composée exclusivement de guerriers ?

    Kalian, qui assistait également au cours même si elle se faisait discrète, et Amandine levèrent le doigt. 

    - Oui, Kalian ?

    - La deuxième, parce que trois élèves en entourent un quatrième. Donc un des guerriers est gêné par les autres et ne peut pas se battre...

    - Bien. et... Mathieu, dans quelle situation peut-on utiliser cette formation ?

    Les regards se tournèrent vers un élève du dernier rang.

    - Euh... quand l'un des quatre n'est pas très doué ?

    - Mais encore ? Amandine ?

    - Euh... quand celui du milieu doit être protégé ?

    - C'est ça... quand un des quatre n'est pas un combattant, ce qui arrive tout de même assez régulièrement, mais par exemple un négociateur, les autres doivent le protéger... C'est ce qu'on appelle une formation tétraédrique ! Je vous ai préparé une feuille, avec des exemples, je veux que vous me dessiniez toutes les formations appropriées sur votre cahier de cours... 

    La sonnerie retentit à ce moment-là, entraînant un mouvement général vers la porte.

    - Parfait, c'est donc à finir pour la prochaine fois ! Bonne journée !

    Amandine récupéra le collier de son doudou au passage, et se précipita à son tour vers la sortie. Elle décida de profiter de l’occasion pour engager la conversation avec Kalian.

    - Alors... tu as cours, après ?

    - Mmm ... Non, j’ai fini... souffla l'intéressée.

    - Et si tu venais avec moi et Ambre à la cafet’, pour changer ? Tenta  Amandine.

     - Si tu veux...

     - Il doit nous rester des dragibus...

     - Oh, mais avec plaisir, alors...

    Cette première conversation fut loin d’être la dernière. Amandine, Ambre et Kalian passèrent la fin d’après-midi ensemble, bientôt rejointes par Étienne qui venait de terminer les cours.

    Et comme chacun sait que les dragibus adoucissent les mœurs, les filles se trouvèrent un grand nombre de cours en commun, et décidèrent donc de se retrouver autant que possible, afin de tenter de chasser un peu l’ennui qui s’installait en même temps que l’année avançait... 

    Les cours et les journées continuaient de défiler, sans qu’aucun événement particulier ne vienne les troubler. Le vendredi, et par conséquent le retour de la mission, se rapprochait à grands pas, pour le bonheur de tous. On entendait beaucoup Ambre se plaindre parce qu’elle en avait assez de remplacer Faye, et Étienne, même s’il ne le criait pas sur les toits, se sentait seul dans sa chambre sans Lucas et Arthur.

    Même l’absence d’Eileen était déplorée par certains, qui auraient espérés un peu plus d’animation dans leur vie quotidienne. Voir une folle débouler dans une salle de cours en lançant des confettis et repartir aussi sec, il n’y avait pas à dire, ça pouvait illuminer une journée...

    Le jeudi, Étienne et Amandine se trouvaient en cours ensemble, et venaient, pour tenter de passer le temps, de terminer de calculer le nombre de minutes les séparant des l’arrivée des autres, lorsqu’il se produit quelque chose d’étrange.

    Le téléphone sonna.

    Pas, comme on pourrait s’y attendre, un des portables des élèves. Même si les téléphones cessaient de fonctionner dans l’enceinte du lycée, un réseau interne avait été installé, permettant aux élèves de communiquer entre eux tant qu’ils restaient dans l’enceinte. Il arrivait donc assez fréquemment que l’un d’entre eux sonnes, suite à un oubli ou une mauvaise farce de la part d’un ami.

    Mais il ne s’agissait pas d’un téléphone portable.

    Comme, dans les premières années du lycée, ce réseau n’existait pas encore, on avait installé dans chaque salle des téléphone muraux, blancs, et pour être honnête, assez peu esthétiques. Ces derniers avaient fini par sombrer dans l’oubli, et on ne les utilisait quasiment plus.

    Hors, ce jeudi-ci, en plein milieu d’un cours de méditation, suivi par Amandine pour tenter d’apprendre à contrôler ses rêves, et par Étienne dans la but de lui apprendre à ne plus se laisser « déborder » par son environnement, le téléphone sonna.

    Eileen, si elle avait été présente, aurait sans doute fait un bond de quatre mètres de haut tant elle aurait été surprise. Mais en son absence, les six élèves présents se contentèrent de se dévisager, apparemment hésitant sur la conduite à suivre. Le professeur fronça les sourcils, avant de désigner d’un mouvement de la tête une certaine Mathilde, qui se leva aussitôt.

    Elle fit quelques pas en direction de l’appareil, et décrocha.

    - Allô ?
    - ...

    Personne ne put entendre ce qui lui fut dit de l’autre côté, mais le visage de la jeune fille se décomposa. Elle ouvrit des yeux inquiets :

    - Monsieur, ça doit être... pour vous ?
    - Qu’est-ce que c’est encore que ça... grommela le professeur en saisissant le combiné.

    En refermant sa main autour de l’appareil, il dut sans le vouloir enclencher le bouton « haut parleur », car brusquement, une voix se déversa dans la pièce.

    Il était difficile de dire s’il s’agissait d’une voix féminine ou masculine. En plus de la mauvaise transmission, et des parasites qui s'agitaient sur le ligne, on aurait dit que la personne souhaitait masquer sa voix, et qu’elle parlait la main dans sa manche. On entendit distinctement que le dernier mot, qui se perdit dans un murmure :

    - Bientôôôt... tût... tût... tût...
    - Voilà, conclut le professeur qui avait raccroché. C’était personne. Allez, on reprend !


    *


    Cet incident aurait pu passer inaperçu si un deuxième événement du même genre ne s'était pas produit l'après-midi même.

    En plein cours de vision, et qui plus est au cœur de la séquence « de l'image réelle à l'image vue », alors que le professeur détaillait avec passion toutes les subtilités des reflets sur les surfaces translucides, un téléphone sonna. Ce n'était pas cette fois-ci le téléphone mural, même si certains élèves tournèrent la tête vers ce dernier. C'était un contraire une sonnerie typique d'un portable d'élève, et la professeure leva un regard amusé.

    - Et bien voilà, ça faisait longtemps que je n'avais pas ajouté de portable à ma collection...

    Elle s'avança dans la rangée en jetant un regard suspect sur ses élèves, cherchant l'origine du bruit. Les élèves, inquiets, posaient la main sur leur poche ou fouillaient frénétiquement leurs sacs, vérifiant qu'ils étaient hors de cause.

    Amandine, qui suivait ce cours pour apprendre a mieux interpréter ses rêves, et après avoir vérifié son propre téléphone, jeta un regard dans la salle. Cette dernière contenait une dizaine d'élève, qu'elle ne connaissait d'ailleurs pas tous. Il y avait Kalian, qui avait suivi avec elle le cours de théâtre. Sur sa gauche, Étienne, qui avait l'air de s'ennuyer à mourir, avait enfoui sa tête dans ses bras et n'avait pas l'air d'avoir envie de se réveiller.

    Deux rangs devant, on distinguait à peine Elina, la fille-caméléon qui avait été refusée sur le projet comenius. Faye lui avait présentée celle-ci en même temps qu'Aria, et le courant passait plutôt bien. Le reste des élèves lui était inconnu.

    La professeure avait fini son tour de salle sans avoir trouvé le fautif, et fronçait les sourcils, étonnée. Le téléphone sonnait toujours. Thomas, le chauffeur de Faye, leva la main :

    - Madame ! Je crois que ça vient de votre sac !

    Un rire secoua les élèves, soulagés qu'il ne s'agissent pas d'eux. La professeure plongea la main dans son sac et en sortit un appareil, qui effectivement s'était illuminé et sonnait :

    - Tiens ! Ça alors ! Qu'est-ce...
    - Oh, ça peut arriver à tout le monde, vous savez, madame...
    - Non, ce n'est pas ça... c'est juste que... je n'ai jamais eu de téléphone portable !

    Perplexe, elle éteignit la petite boîte vibrante et la remit dans son sac. Une minute plus tard, celle-ci s'alluma de nouveau. La professeure saisit le téléphone et appuya sur une ou deux touches. Ce devait être un SMS.

    À la grande surprise d'Amandine, qui fixait son professeur au lieu de plancher sur les exercices qu'elle avait à faire, cette dernière fronça les sourcils, marmonna quelque chose d'inaudible, puis éteignit définitivement l'appareil. Trois rangs derrière la rêveuse, une élève pâlit. Elle venait de reconnaître son ancien portable.

    Le cours terminé, Amandine rejoignit le self en compagnie de Kalian et d’Étienne. Elle entama son entrée, l’air pensive.

    - La fille, là... Mathilde, je crois... Elle avait l’air malade...
    - Y a une épidémie de gastro qui traine, souligna Kalian d’un air pragmatique.

    Amandine et Étienne sourirent, et la conversation dériva très vite sur un autre sujet. À la fin du repas, tous retournèrent en cours.

    Le lendemain, vendredi matin, les trois se retrouvèrent de nouveau au self pour le petit déjeuner. Puis, Étienne partit suivre son cours sur la mémoire. La professeure, l’air un peu fatiguée, attrapa sa liste pour faire l’appel.

    - Étienne ?
    - Hein ? euh... oui !
    - Mathieu ?
    - Oui !
    - Mathilde ?

    Silence.

    - Mathilde ?

    Mathilde ne réaparut jamais.


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